Que la motricité humaine soit gouvernée depuis le cerveau par l’entremise des nerfs moteurs, cela semble aujourd’hui un axiome établi. La relativisation de ce schéma simplificateur, ainsi que sa remise en cause du point de vue de l’évolution de la conscience, font place pourtant à une image spirituelle de l’être humain.

Parmi les nombreuses suggestions et tâches qui remontent à Rudolf Steiner, il en est une qui demande de corriger les représentations actuelles sur la fonction des nerfs. La divergence de sa conception, relativement à ceci, paraît en effet le plus nettement au grand jour là, où la physiologie d’école parle de “nerfs moteurs”.

La forme actuelle de la conception des nerfs moteurs s’est constituée voici tout juste 200 ans. Elle affirme, au fond, qu’il existe des nerfs définis, à l’origine fonctionnelle des mouvements. On ne voyait absolument pas cela de cette façon autrefois. Par cette conception, la physiologie divise l’ensemble des nerfs en deux espèces différentes: d’un côté les nerfs sensitifs et de l’autre les nerfs moteurs.

Rudolf Steiner, au contraire, décrit le système nerveux d’une manière telle que sa fonction, homogène dans sa totalité, sert exclusivement à la formation de la perception et, selon le cas, de la représentation, et en aucun cas à générer l’impulsion motrice.

Pour autant qu’il y ait eu sans cesse depuis 200 ans des changements et des confrontations critiques sur ces concepts théoriques de la neurologie, la conception des “nerfs moteurs” est restée inchangée aujourd’hui sur ce point essentiel. La neurologie part toujours du fait que des nerfs bien définis provoquent le mouvement. En 1917 (dans le 6ème point de l’annexe du livre Des énigmes de l’âme), Rudolf Steiner attendait, manifestement déjà à l’époque, une correction neurologique sur ce point.

Dans la littérature anthroposophique, il existe quelques travaux dont l’objectif vise à corriger les représentations actuelles sur la fonction nerveuse. Cet article est moins conçu sous l’angle d’une confrontation de spécialistes scientifiques, il tente au contraire de prendre en compte le problème avec un certain recul, afin de montrer pourquoi ce détail scientifique, si particulier en apparence, demeure si important et si riche de grandes implications.
Aiguillages historiques
Qu’est-ce qui a exactement changé, à dire vrai, lorsque, voici 200 ans, la médecine commença à parler de “nerfs moteurs” au sens actuel de ce concept? Rudolf Steiner n’a eu de cesse d’attirer l’attention sur cette transition conceptuelle particulière dans le développement de la science neurologique et il restait pas vraiment réservé, dans son l’analyse sur ce changement de paradigme, en désignant la distinction de nerfs sensitifs et moteurs de “concept scientifique dément” (GA 192, 7ème conf.).

Pourtant, ce qui peut sembler ici d’abord un abus de langage de la part de Steiner (“concept aliéné, insensé, dément”) peut encore être présenté sous un autre éclairage surprenant. Pour préciser, si on se souvient très concrètement que le mot “Wahnsinn” (“délire”) désigne par déviation une construction d’idées qui a perdu tout contact avec la réalité (“aliénation”, au sens de “perte”, l’aliénation mentale étant la perte de maîtrise du mental; N.D.T.). D’un certain point de vue, cet “abus de langage” peut aussi être estimé comme un diagnostique tout à fait pragmatique, et constituer en même temps une indication didactique précieuse.
Au plan historique, les concepts de “nerfs moteurs” et de “nerfs sensitifs” existent – rigoureusement parlant – dès le 3ème siècle avant le Christ. Ils ont été forgés pour la première fois par Herophile(-340 env. à -300) et Érasistrate (-320 env. à -250) dans l’école de médecine d’Alexandrie. Sans doute étaient-ils conçus à l’époque, tout comme jusqu’il y a 200 ans, d’une manière plus anatomique que fonctionnelle.

Cela veut dire, en bref, “les nerfs moteurs” étaient ceux qui menaient aux muscles et les “nerfs sensitifs” ceux qui menaient aux organes des sens. On se représentait alors les nerfs comme des tuyaux, dans lesquels s’écoulait un principe fonctionnel proprement dit: ce que les Grecs appelaient pneuma et les Romains spiritus. Selon les descriptions de l’époque, on se représentait une sorte de principe psychique aérien sous le terme de spiritus.

Le cœur de cet enseignement du spiritus – pratiquement inchangé jusqu’à la modification de paradigme d’il y a 200 ans donc – reposait dans l’acceptation d’un principe homogène, qui est à la fois percevant et à l’origine du mouvement. Et de plus, ce principe ne se trouvait pas seulement dans les nerfs. Mais il pouvait bien – en particulier sous une forme épurée (en tant que spiritus animalis) – spécialement circuler très librement dans les nerfs.
Une brève comparaison
Il peut être intéressant maintenant de jeter un coup d’œil en passant sur les descriptions de Rudolf Steiner (par exemple dans GA 179, 1ère conf.). Pour lui, les deux sortes de nerfs sont “essentiellement identiques” – ils servent tous deux à percevoir, ou selon le cas, à construire la représentation. Cependant, les nerfs sensitifs procurent la conscience du monde extérieur et les nerfs “moteurs” fournissent une conscience du monde corporel intérieur. Rigoureusement parlant, la conscience des processus métaboliques qui se produisent lors d’un mouvement.

Lorsqu’on perçoit quelque chose, par exemple, auquel on veut réagir par un mouvement de la main, c’est l’unité (!) de la perception sensorielle et de l’impulsion volontaire qui se présente d’abord comme une “fécondation du psychisme”, de manière extérieure au corps, dans l’expérience de la perception de l’objet. Cet élément “psychique fécondé” parcourt d’abord l’ensemble des voies nerveuses (sensitive et motrice). De cela on est conscient et on se le représente. Mais le mouvement musculaire ne résulte ensuite que d’une intervention directe de la volonté dans la musculature – de l’extérieur! Et ce qui se produit alors dans le corps, le métabolisme musculaire, est rendu pareillement conscient et on se le représente alors.

Mais sans (souligné par le traducteur) la conscience de représentation de ces deux contenus (perception sensible avec impulsion volontaire d’un côté et processus métaboliques de l’autre) procurée par l’entremise des nerfs, cette intervention de la volonté au sein du métabolisme n’a pas lieu. La conscience de ces processus est donc une condition nécessaire à la réalisation de cette impulsion volontaire-là, et non sa cause originelle.
Un changement de paradigme
Dans l’Antiquité, c’était donc le même spiritus qui circulait aussi bien dans les nerfs sensitifs que dans les nerfs moteurs. On n’aurait pas été loin de songer à attribuer aux “nerfs moteurs” eux-mêmes une fonction de mise en mouvement, et donc de partager peut-être encore le spiritus en un spiritus moteur et un spiritus sensitif. Mais pour cela, on devait envisager très exactement la chose suivante: ce principe du spiritus, n’était pas seulement homogène quant à ses activités de perception et de mise en mouvement, mais dans cette homogénéité, il était aussi porteur de l’individu, le sujet indivisé au plan de ses fonctions neurologiques. Ce qui n’existait pas, c’était pour ainsi dire un “dualisme neurologique” de l’individu sous la forme d’un sujet percevant et d’un sujet agissant.
Jusqu’au 17 ème siècle, la conception médicale se satisfaisait pleinement de cette doctrine antique du spiritus. Débuta ensuite l’évolution, souvent décrite, de la nouvelle science, qui se mit progressivement à ne plus admettre comme base que ce qui était observable par les sen. Du début du 17ème à la fin du 18ème, une lutte s’engage autour du concept antique du spiritus dont on peut suivre simplement les péripéties. D’une part, on s’en tient fermement à lui, d’autre part, on le modifie dans la direction d’un contenu empirique sensoriel. On recherchait un substrat matériel quelconque, devant être ensuite l’ancien spiritus.
On perdit d’abord la représentation du principe psychique (de l’âme) et on ne considéra plus que son élément “aérien” (souffle animique, N.D.T.). Suivit ensuite l’adoption d’un fluide actif: “suc nerveux” (succus nervosum). Puis on poussa plus loin dans l’abstraction avec la “force nerveuse”. On rechercha simplement une sorte de principe d’action qu’on pouvait démontrer au plan sensoriel et qui remplacerait le spiritus. Quelque chose d’observable par les sens, pouvait pleinement expliquer la perception et le mouvement sans devoir en revenir au psychisme. Pour cela, cette “force nerveuse” devait pouvoir être comprise uniquement à partir d’observations sensorielles habituelles de l’organisme; tout recours à un principe psychique quelconque, ou autrement non observable par les sens, devait devenir superflu.
Parvenus à la fin du 18ème, on sut désormais que certains tissus de l’organisme réagissaient à l’excitation électrique. Mais Galvani fut le premier à réussir à montrer, en 1791, que les organismes avaient leur propre électricité. Il prouva que non seulement les organismes réagissent à l’électricité, mais qu’ils en produisent eux-mêmes. Et avec cela, on mit la main sur quelque chose, qui correspondait aux attentes théoriques: un principe accessible aux sens, purement physique, qui était explicable par l’appréhension sensible de l’organisme lui-même dans sa réalisation.
On expérimentait de manière intense depuis dix ans, quand Bell, en 1811, publia pour la première fois ce nouveau point de vue conceptuel des “nerfs moteurs”. Et celui-ci suivait complètement l’empirisme des sens, flagrant et évident, du moins en apparence: l’électricité des terminaisons nerveuses antérieures de la moelle épinière (nerfs moteurs) commandaient les contractions musculaires et celle des terminaisons nerveuses postérieures (nerfs sensitifs) amenaient les sensations.

On ne pouvait plus déclencher de contractions musculaires en excitant les nerfs sensitifs et on ne pouvait pas non plus produire des sensations en excitant les fibres nerveuses motrices. En conclusion inverse, si on coupait complètement les nerfs sensibles, la sensation disparaissait, si on coupait les nerfs moteurs, c’était le mouvement qui ne se réalisait plus.
Les fonctions (de perception et de motricité) semblaient clairement et exclusivement provenir de ces deux sortes de nerfs. La distinction autrefois anatomique devint donc fonctionnelle. Les canalisations, qui autrefois pour ainsi dire “laissaient couler” l’activité psychique, devinrent elles-mêmes des sujets agissants.
Explication physique du psychique
L’objectif semblait atteint: on détenait enfin une explication physique de manifestations autrefois acceptées comme provenant du psychisme. Tout ce qui était perception et mouvement des organismes semblait explicable par l’électricité. Toute excitation physique du monde extérieur influait sur l’organisme – l’effet parvenait aux nerfs sensitifs – ceux-ci produisaient de l’électricité: une sensation apparaissait. Suit alors un effet électrique, plus complexe (par exemple dans le cerveau) ou moins complexe (par exemple dans la moelle épinière) sur certains centres nerveux.

Si la mise en œuvre est telle qu’une réaction suive nécessairement l’excitation, alors les nerfs moteurs doivent être activés à leur tour. L’impulsion électrique de ceux-ci est de nouveau transmise aux muscles: l’organisme se meut, et réagit à l’excitation d’origine. Il n’existe donc plus de principe homogène, pour lequel la somme de tous les nerfs n’était que l’instrument passif de tous ses effets différents, mais on l’expliquait quasiment désormais comme on explique un outil destiné à l’artisan.

Les deux productions, encore anciennement psychiques, de l’individu indivisible – perception et mouvement – sont devenus les produits de deux substrats anatomiquement et fonctionnellement différents: les premiers nerfs produisaient les sensations, les autres produisaient quant à eux les mouvements.
L’élimination du sujet
C’est là la transition, en matière de théorie scientifique, sur laquelle Steiner attire l’attention. Comment peut-on à présent y caractériser ce qui relève d’une “démence”? Steiner ne parlait pas (encore à cette époque, mais maintenant on devrait peut-être le faire, vu la tournure prise dans les applications techniques… N.D.T.) de scientifiques déments, échafaudant de tels concepts, mais il mettait plutôt le doigt sur le concept lui-même, qui sert à distinguer les nerfs de cette façon. Il devient à présent très riche d’enseignement de comprendre l’évolution de ce concept à partir du contexte historique.

Avec une certitude passablement bonne, aucun de ces chercheurs, qui amenèrent ce changement de paradigme en ce début du 19ème siècles, ne percevait de spiritus quelconque. Et par-dessus le marché, suite à l’évolution historique, cet enseignement du spiritus, qui n’était plus correctement compris, alimentait alors toutes sortes de charlataneries et démagogies pas sérieuses du tout.

Il se peut que cet effort – foncièrement humain – entrepris pour construire la neurologie sur une fondement solide – ce qu’on pouvait effectivement constater – ait été pour cette raison motivé par les meilleures intentions du monde chez les chercheurs individuels. Un exemple saillant, mais avec cela aussi très tragique, nous est donné au milieu du 19ème avec le chercheur remarquable Johannes Müller. Car ici le mieux devient l’ennemi du bien.
Du fait que la recherche d’un principe neurologique actif fut exclusivement tolérée pour le domaine accessible aux sens, on finit par découvrir effectivement quelque chose dont la phénoménologie – on peut presque dire d’une manière perfide! – était tellement suggestive qu’on aurait à peine pu s’apercevoir de la mystification qu’elle entraînait au plan purement scientifique.

Autrement dit: si on veut ne laisser qu’au seul domaine accessible aux sens le fondement de la perception en recherche, on ne peut parvenir à rien d’autre qu’à cette dichotomie du système nerveux en liaisons motrices et liaisons sensitives. Mais avec cela, on n’a rien fait d’autre que d’éliminer le sujet psycho-spirituel de l’ensemble de la neurologie.

Si on part de cela, à savoir que l’individu, dont la réalité psycho-spirituelle est le véritable principe de causalité primordiale, autant pour la perception que pour le mouvement, alors, bien sûr, on en vient à cette constatation – parfaitement prosaïque d’ailleurs – que la théorie neurologique, et donc les concepts par lesquels elle interprète les découvertes, a perdu sur ce point tout contact avec la réalité. Et au-delà de cette réalité, elle se met à présent à échafauder un édifice conceptuel complexe, si bien que pour faire attirer l’attention sur ce point, très nettement au plan didactique, on peut alors parler de concepts “déments”. Vu ainsi, c’est un choix originel, courageux, mais vraiment pertinent aussi de la part de Rudolf Steiner, qui veut tout simplement éveiller les consciences.

Il n’est pas possible ici d’énumérer les nombreuses données scientifiques qui contredisent absolument la conception actuelle sur les nerfs moteurs. Une liste fournie en a déjà été dressée au sein même de la physiologie d’école. Mais en considération de l’impressionnant succès de celle-ci, on peut très facilement montrer que ce genre de données peuvent encore être comprises à coups sûr dans le cours ultérieur de la recherche.
On peut même dire: ces 200 ans d’histoire du “paradigme des nerfs moteurs” ont été absolument accompagnés par la présence de chercheurs remarquables, qui l’ont mise en doute – et cela non pour la moindre raison qu’il percevait que ce paradigme ne décrivait plus le phénomène dans sa véritable humanité. Ainsi Victor von Weizäcker déclare explicitement, que c’est son objectif de réintroduire le sujet dans la biologie. La tentative d’un Eccles, de montrer la réalité d’un principe spirituel dans la neurologie, reste stérile parce que celui-ci reste bloqué dans le penser dualiste.

Le problème n’est fondamentalement pas à résoudre par des données, mais par la manière dont on interprète ces données (souligné par le traducteur). Rudolf Steiner propose instamment pour cela d’introduire un nouveau concept dans la neurologie (voir Des énigmes de l’âme), afin de corriger la conception régnante sur la fonction nerveuse. Si on a devant les yeux l’ébauche de sa description du déroulement d’un mouvement donnée plus haut, il est évident que pour qu’un événement se produise, l’activité nerveuse comme l’activité musculaire, sont toujours indispensables, et que, du point de vue de l’observation sensible, on ne peut absolument pas juger et distinguer entre la cause originelle (intervention de la volonté dans le métabolisme) et ce qui n’en est que la condition nécessaire (la perception de celui-ci). Rudolf Steiner a dit en effet qu’on attribue aux nerfs moteurs une fonction qui revient, à proprement parler, aux voies sanguines!
L’ancien concept du spiritus et l’investigation plus moderne de Steiner, décrivent un principe d’action suprasensible (pour Steiner, il s’agit du corps astral), dont la nature est une unité indivisible de perception et de mouvement (souligné par le traducteur). Sauf que: ce corps astral n’est pas dans l’espace (aucun sentiment, ni impression des sens, ni impulsion volontaire ne sont à ce titre dans l’espace!) – mais il se manifeste dans la temporalité spatiale du corps physique. Du point de vue anthroposophique, la physiologie plus récente fait l’erreur de déclarer que les causes se trouvent au sein des phénomènes. Mais cela, c’est la résultante d’une volonté historique de sa part, qui est de ne plus prendre d’autres domaines en considération. Elle en perd donc toute orientation et succombe à une grave illusion: l’électricité est certes toujours présente, mais -selon la description de Steiner – elle n’est rien d’autre qu’un sous-produit des véritables processus essentiels.
Les “profanes” sont aussi capables de juger

Pour le spécialiste scientifique, il reste encore pas mal de travail à faire! Mais la question c’est celle-ci: existe-t-il pour le profane une possibilité de parvenir à développer sa propre faculté de jugement, en relation avec cette controverse de chercheurs, sans devoir lui-même devenir spécialiste? C’est absolument le cas! Sa propre réponse, le profane se doit de se la former lui-même, mais il peut devenir capable de discernement en suivant deux voies: pour l’une, il doit bien appréhender la structure conceptuelle de ce nouveau paradigme et la mener radicalement et conséquemment à son terme. Pour la seconde, il doit pratiquer l’auto-observation psychique et comparer le résultat ainsi obtenu avec le résultat de la première voie.
Pour la première, penser jusqu’au bout; cela veut dire suivre la conception actuelle sur les nerfs moteurs, selon laquelle l’agir humain est exclusivement déterminé par des activités physico-chimiques de la nature. Si, à présent, l’électricité d’un être humain est la cause du repli de son index, suite à une injection thérapeutique, et que l’électricité d’un autre provoque aussi le repli de l’index pour actionner la détente d’un pistolet – Où un juge quelconque, va-t-il aller chercher ses critères pour juger de ces actes d’une manière discriminatoire? La conception actuelle sur les nerfs propose une réponse – poussée de manière conséquente jusqu’à ses ultimes retranchements – il n’existe aucun point de départ pour aborder la réalité morale. Face à cette perspective, tout profane peut former son jugement – tout simplement, dans la mesure où il est homme. Il peut s’interroger pour savoir si l’ image qu’il se fait de lui-même renferme une catégorie morale et juger ensuite si cette conception neurologique est acceptable pour lui.
Pour la seconde: tout profane peut se proposer un jour d’exécuter un mouvement quelconque à partir d’une décision qui lui est propre – par exemple faire un pas en avant. En réalisant cette décision, il peut procéder à une auto-inspection précise de son âme en se posant la question de savoir s’il l’a réalisée en toute liberté, ou s’il n’était que le jouet de ses lois physico-chimiques naturelles. S’est-il donné lui-même le motif de son mouvement, ou bien n’était-il que le spectateur d’un processus naturel inévitable? C’est exactement ce qu’a ressenti en tout cas Johannes Müller, cité plus haut. En tant que chercheur scientifique, il a fortement contribuer justement à donner à la neurologie son empreinte actuelle. Mais il était certain en même temps qu’il pouvait accomplir des actions, sans y être le moins du monde contraint par des lois naturelles.
Au plan universel, la conception qui règne encore aujourd’hui sur les fonctions des nerfs moteurs en neurologie a refermé à clef une porte de sortie. Comme les sciences de la nature marquent fortement de leur empreinte le bon sens commun et naturel de l’homme moderne, cela fait déjà une grande différence de se ressentir comme un être isolé, uniquement et indirectement en contact avec le monde extérieur par l’électricité, ou bien d’avoir l’impression que ces propres impulsions volontaires proviennent d’une sphère spirituelle, au sein de laquelle on se trouve de fait déjà réellement en relation avec tous les autres hommes. Cette “question scientifique de détail” finit donc par rejoindre cette impression d’existence d’une sphère spirituelle, qui représente ensuite la condition préalable pour avoir principalement la capacité de comprendre la tripartition sociale (die soziale Dreigliederung) (voir GA 192, 2ème et 7ème conf.). Info3, 10/2000
(Traduction Daniel Kmiécik)
Gerhard Gutland, docteur en médecine en exercice, a publié un essai Das Ich und seine Wirklichkeit (Le Je et sa réalité) dans les Schriftenreihe Kontexte Vol. 2.