Extrait d’un carnet de note
Rudolf Steiner
Après qu’il eu achevé la conversation avec sa mère, il se sentit poussé par l’esprit dans la direction du Jourdain, vers Jean. Sur le chemin, il rencontra deux esséniens avec lesquels il avait souvent eu des conversations. Et il ne les connaissait pas. Eux, cependant, le reconnurent très bien.
« Où va ton chemin ? »
« Là où des âmes telles que les vôtres ne veulent pas regarder – Où la douleur de l’humanité peut trouver les rayons de la lumière oubliée. »
Ses yeux – ils étaient plein d’amour, mais son amour agissait comme s’ils étaient pris en faute –
« Quelles âmes êtes vous ? Où est votre monde ? – Pourquoi vous revêtez-vous d’enveloppes trompeuses ? Pourquoi brûle, à l’intérieur de vous, un feu qui n’est pas allumé dans la demeure de mon Père ? » –
Et ils ne comprenaient pas ses paroles.
Et ils remarquaient qu’il ne les reconnaissait pas.
Jesus de Nazareth, dirent-t-ils, ne nous connais-tu pas ?
« Vous êtes comme des agneaux égarés ; cependant moi, j’étais le fils du berger que vous avez fuis. Si vous me reconnaissiez vraiment, vous fuiriez à nouveau aussitôt. Cela fait si longtemps que vous vous êtes échappés dans le monde loin de moi. »
Et ils ne savaient pas ce qu’ils devaient penser de lui.
Et il poursuivit : « Vous portez sur vous la marque du tentateur. De son feu, il a rendu votre toison brillante et étincelante – le pelage de cette toison blesse mon regard. – Il vous a trouvé suite à votre fuite. Il a abreuvé vos âmes d’orgueil. »
Alors, un des esséniens prit la parole et dit :
« N’avons nous pas mis le tentateur à la porte. Il n’a plus prise sur nous. »
Et Jesus dit :
« Vous l’avez bien mis à la porte ; mais il est parti et il a rejoint les autres hommes. C’est pourquoi il vous entoure de ses ricanements. Vous ne vous élevez pas, en abaissant les autres. Si vous estimez être haut, c’est seulement du fait que vous diminuez les autres. »
Ils furent alors pris de frayeur, mais ce fut en cet instant pour eux comme si il disparaissait à leur regard : dans le lointain cependant, il virent son visage devenu gigantesque – et entendirent ces paroles :
« Votre aspiration est vaine ; car votre cœur est vide, vous vous l’êtes emplis de l’esprit qui cache la fierté sous l’enveloppe trompeuse de l’humilité. »
Et ils ne virent ensuite longtemps plus rien ; quand ils furent revenus à eux-même, il était déjà loin d’eux sur son chemin. Ils ne racontèrent pas ce qu’ils avaient perçu aux autres esséniens, mais se turent à ce sujet pour le reste de leur vie.